
OPINIONS Mercredi1 septembre 2010
Une faille dans notre démocratie
Tristan Zimmermann, assistant au département de droit constitutionnel de l’Université de Genève, propose d’élargir les motifs d’invalidation d’initiatives populaires problématiques
Est-ce un bien, est-ce un mal? Cette interrogation issue d’un conte de sagesse taoïste exprime l’ambivalence que l’on est en droit de ressentir à l’égard du retrait de l’initiative populaire tendant à la réintroduction de la peine de mort. Ces dernières années, les citoyens suisses ont été confrontés à plusieurs initiatives populaires contraires à des garanties fondamentales ancrées aussi bien dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) que dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte ONU II), instruments tous deux ratifiés par la Suisse.
Mentionnons l’initiative proposant l’internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables, celle en faveur de naturalisations démocratiques, ou encore celle interdisant la construction de minarets. Nous aurons également à nous prononcer cet automne sur le renvoi des étrangers criminels. La raison de ces votations réside dans l’ancrage imparfait auquel le constituant fédéral a procédé en 1999, en se confinant à permettre à l’Assemblée fédérale d’invalider les seuls textes violant des dispositions impératives du droit international (art. 139 al. 3 Cst. féd.).
L’initiative populaire prônant la réintroduction de la peine de mort pour l’auteur d’un assassinat «en concours avec un acte d’ordre sexuel sur un enfant, une contrainte sexuelle ou un viol» a connu une phase de récoltes de signatures plutôt brève, puisque le comité d’initiative l’a retirée le lendemain de la validation formelle de son texte par la Chancellerie fédérale. La volonté des membres du comité d’initiative était de sensibiliser la population aux dysfonctionnements de la justice dans les cas d’assassinats à caractère sexuel. L’Assemblée fédérale n’aura donc pas à se prononcer sur la validité de l’initiative.
Ce procédé a toutefois le mérite de soulever plusieurs questions de plus en plus brûlantes. En effet, l’interdiction de la peine de mort, bien que contenue dans la CEDH et le Pacte ONU II ne saurait ressortir au jus cogens, tel que compris pour l’heure par nos autorités fédérales. La peine de mort étant encore pratiquée dans nombre d’Etats, l’on ne saurait attribuer à l’interdiction de la peine de mort le statut de norme impérative de droit international, telle que définie dans la Convention de Vienne sur le droit des traités
(art. 53). Ainsi, en l’état actuel du droit, rien ne semble s’opposer à la soumission d’un tel texte au peuple suisse, pour autant que les autres conditions de validité formelles soient remplies. C’est là que le bât blesse. Malgré les avancées scientifiques notamment dans les domaines de la génétique et des neurosciences, l’avertissement de Robespierre, proféré en mai 1791, conserve toute son acuité: «Ecoutez la voix de la justice et de la raison: elle vous crie que les jugements humains ne sont jamais assez certains pour que la société puisse donner la mort à un homme.» Nous vivons dans un Etat de droit garant des droits fondamentaux et non fossoyeur de ces derniers. En conséquence, nous ne saurions charger notre Prince d’appliquer la loi du talion qui institue une juste réciprocité du crime et de la peine et ainsi anéantir le droit à la vie et son corollaire, l’interdiction de la peine de mort.
(art. 53). Ainsi, en l’état actuel du droit, rien ne semble s’opposer à la soumission d’un tel texte au peuple suisse, pour autant que les autres conditions de validité formelles soient remplies. C’est là que le bât blesse. Malgré les avancées scientifiques notamment dans les domaines de la génétique et des neurosciences, l’avertissement de Robespierre, proféré en mai 1791, conserve toute son acuité: «Ecoutez la voix de la justice et de la raison: elle vous crie que les jugements humains ne sont jamais assez certains pour que la société puisse donner la mort à un homme.» Nous vivons dans un Etat de droit garant des droits fondamentaux et non fossoyeur de ces derniers. En conséquence, nous ne saurions charger notre Prince d’appliquer la loi du talion qui institue une juste réciprocité du crime et de la peine et ainsi anéantir le droit à la vie et son corollaire, l’interdiction de la peine de mort.
La peine capitale a été une première fois abolie dans l’ensemble de la Suisse en 1874, puis rétablie à la suite d’un référendum en 1879 pour les délits de droit commun. Elle a ensuite été à nouveau abolie avec l’entrée en vigueur du Code pénal en 1942. La disposition topique du Code pénal militaire a été abrogée quant à elle en 1992. […] Mais l’obscurantisme conserve toujours droit de cité par les temps qui courent.
Afin de combattre cette tendance rétrograde, une initiative parlementaire, proposant un examen des initiatives préalable à la récolte des signatures, n’apparaît pas être une réponse satisfaisante. En effet, le citoyen signant une initiative doit savoir que le texte ne sera pas forcément soumis au scrutin populaire si des conditions formelles ou matérielles ne sont pas remplies. Tel fut par exemple le cas en 1985, quand une initiative intitulée «pour sauver notre jeunesse: réintroduction de la peine capitale pour les personnes qui font le commerce des drogues dures» avait échoué à recueillir le nombre nécessaire de signatures. Il serait dès lors peu judicieux d’enclencher la machine judiciaire pour un texte appelé à rester lettre morte.
Par contre, d’autres options s’offrent au constituant fédéral. Tout d’abord la possibilité de modifier l’art. 139 Cst. féd. dans le sens d’un élargissement des motifs d’invalidité des initiatives populaires, notamment en conférant une prééminence aux garanties fondamentales comprises dans les traités internationaux de protection des droits de l’homme obligeant la Suisse. Ensuite, il serait aussi sage de transférer la compétence d’invalidation des initiatives populaires à un organe judiciaire, tel le Tribunal fédéral, plutôt que de laisser cette fonction à un organe politique. Enfin, les droits démocratiques, aussi fondamentaux qu’ils puissent être, ne devraient plus pouvoir fouler aux pieds les autres droits fondamentaux. Les garde-fous énoncés ci-dessus devraient nous prémunir de tels écueils à l’avenir.
Espérons que ce coup d’épée dans l’eau pousse les autorités fédérales à enfin prendre leurs responsabilités dans un souci de Realpolitik et avec la volonté de demeurer un Etat de droit qui se veut le garant des droits fondamentaux, dont le droit à la vie est le droit principiel. Il est par conséquent urgent de ne pas attendre! La perfection n’est pas de ce monde, tâchons d’atténuer autant que faire se peut l’imperfection. Ce serait déjà un moindre mal…
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