
DÉBAT 16:42
Avenir de la presse: «Nous sommes en train de maîtriser l’immédiateté»

Le Temps a réuni l’écrivain franco-américain Jonathan Littell, Eric Hoesli, fondateur et ancien directeur du Temps et Pierre Veya, son actuel rédacteur en chef, pour débattre de l’avenir de la presse. Voici les extraits du débat à lire dans son intégralité dans notre édition de samedi
Le Temps: Internet bouleverse la presse, mais un journaliste sur cinq ne maîtrise toujours pas les bases du web relevait début octobre le forum mondial des éditeurs à Hambourg. Comment les journalistes doivent-ils réinventer leur métier?
Pierre Veya: Pendant longtemps le journaliste de presse écrite n’a pas été soumis à l’évolution technologique contrairement à d’autres professions. Il faisait partie des clercs, avec son crayon, puis la machine à écrire et enfin l’ordinateur. Les moyens d’acquisition et de retranscription de l’information évoluaient peu. Cela a changé avec les nouvelles technologies tant dans la recherche des nouvelles que dans la vitesse à laquelle les interpréter.
Dans un premier temps, qualité et délai court ont semblé contradictoires. Mais nous sommes en train de maîtriser l’immédiateté.
Enfin, il y a les nouveaux outils, comme l’audio et l’image, qu’il faut apprendre. Heureusement, les techniques deviennent de plus en plus simples à utiliser. Et j’observe l’arrivée sur le marché d’une nouvelle génération de journalistes, qui sait déjà s’en servir.
Dans un premier temps, qualité et délai court ont semblé contradictoires. Mais nous sommes en train de maîtriser l’immédiateté.
Enfin, il y a les nouveaux outils, comme l’audio et l’image, qu’il faut apprendre. Heureusement, les techniques deviennent de plus en plus simples à utiliser. Et j’observe l’arrivée sur le marché d’une nouvelle génération de journalistes, qui sait déjà s’en servir.
Eric Hoesli: Je commencerais par un double aveu d’humilité sur l’évolution du métier. D’une part, les évolutions sont dictées par les techniques. Les journaux sont nés de l’imprimerie, et non le contraire. Des entrepreneurs imprimeurs qui, cherchant à rentabiliser leurs machines, ont inventé le journal. D’autre part, les instruments d’information en ligne sont multiples. Ils mettent donc plus en évidence qu’auparavant les choix du journaliste, ses compétences et ses incompétences. Avant l’agence de presse définissait le cadre. Aujourd’hui, on peut travailler sur tous les sujets. Hélas, on peut avoir des inondations monstrueuses au Pakistan à peine couvertes dans les journaux, et des pages et des pages sur 33 Chiliens. Il y a de l’anxiété aujourd’hui chez les journalistes car ils doivent répondre de leurs choix devant des lecteurs intelligents.
PV: Cela souligne la perte de monopole que procurait à la presse l’imprimerie. Tout individu peut communiquer ou fournir des informations. Comme toujours lorsqu’un secteur perd son monopole, d’abord il ne s’en rend pas compte, puis il se braque et enfin il se réinvente.
Jonathan Littell: Cette nouvelle façon de travailler avec le web pose aussi beaucoup de problèmes. Parce qu’il faut travailler vite, les journalistes prennent le réflexe d’aller chercher des informations en ligne plutôt que de faire à l’ancienne et d’appeler des personnes. Résultat, tout le monde recycle la même chose, et la même information tourne en boucle sans avoir été vérifiée.
N’est-ce pas plutôt une mauvaise utilisation du web où l’on peut tout de même apprendre beaucoup de choses?
JL: Oui, mais à condition d’avoir du temps et d’adopter une approche critique. Si je caricature, j’ai l’impression que si New York Times sort une info, elle est considérée comme vraie, parce que c’est le New York Times… C’est pour cela que tout le monde a repris leurs articles sur la présence d’armes de destruction massive en Irak. Wikipedia, c’est pareil; il faut deviner les biais et s’en servir avec des pincettes. Il faut avoir le temps de faire un pas en arrière et de parler à des humains pour confronter des points de vue différents. Ce manque de distance est plus visible dans la presse française que dans la presse anglosaxonne, beaucoup plus précise et critique avec les sources.
EH: Je crois que nous sommes déjà dans une phase de réaction face à ce problème. Nos lecteurs savent reconnaître l’information immédiate qui ressemble à un flash radio ou à une dépêche d’agence. Ils attendent beaucoup plus d’informations factuelles de ce type 24h/24, où qu’ils soient, mais ils savent la distinguer des articles qui approfondissent un sujet; dans ce cas l’urgence est moins grande. On peut, et désormais on doit, revenir sur une nouvelle d’il y a une semaine voire un mois à condition d’avoir la plus-value qui le justifie. C’est très réjouissant car le travail journaliste est appelé à prendre de la valeur!
PV: Il se produit un phénomène qui arrive lorsqu’un secteur s’ouvre après une décision gouvernementale ou l’arrivée d’une nouvelle technologie. Dans un premier temps, tous les nouveaux acteurs, ici les émetteurs d’information, paraissent avoir la même valeur. Il faut attendre pour découvrir que ce n’est pas le cas. Cette clarification commence à se produire. Je ne suis donc pas inquiet sur le travail de fond des journalistes, mais plutôt sur la période de transition pour financer ce travail. La société sait bien que l’information dont tout le monde dispose présente peu de valeur. Celle qui en a apporte quelque chose qu’on ne trouve pas ailleurs, elle éclaire un fait de société, politique ou économique avant les autres. Ceux qui en ont besoin sont prêts à la payer très cher. Par conséquent, être journaliste signifie travailler en amont pour pouvoir réagir de manière pertinente à une information qui arrive.
Tout cet effort ne concerne-t-il que la grande presse dite de «qualité»?
EH: Pas du tout. Le travail d’approfondissement est autant nécessaire à l’échelon local que national ou international.
JL: Ce travail est fait d’ailleurs. Prenez le cas extrême de la Russie. Huitante à 90% des meurtres dans la presse frappent des journalistes locaux, qui travaillent sur des sujets locaux qui menacent des intérêts précis. Or ils font un travail que les journaux nationaux n’exercent pas.
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