Refus obstiné d’un ordre intenable
Pour sortir de la nasse
A Madrid, Athènes, Bucarest ouParis, la colère populaire témoigned’une exaspération sociale, d’unprofond désir de changement. Manquent encore la stratégiepolitique permettant de le faireaboutir et l’espérance qu’il adviendra. Faut-il prendre le risque de laisserpasser l’occasion au motif que lesconditions de sa réalisationn’existent pas encore ? Ou faire lepari que parfois « l’impossiblearrive » ?
Par Slavoj Žižek
Les mouvements de protestation qui déferlent en Europe cetteannée contre les politiques d’austérité — en Grèce et en France, mais aussi, dans une moindre mesure, en Irlande, en Italie, enEspagne — ont donné le jour à deux fictions. La première, forgéepar le pouvoir et les médias, repose sur une dépolitisation de lacrise : les mesures de restriction budgétaire édictées par lesgouvernements sont mises en scène non comme un choix politique, mais comme une réponse technique à des impératifs financiers. Lamorale, c’est que si nous voulons que l’économie se stabilise, nousdevons nous serrer la ceinture. L’autre histoire, celle des grévistes etdes manifestants, postule que les mesures d’austérité ne constituentqu’un outil aux mains du capital pour démanteler les derniersvestiges de l’Etat-providence. Dans un cas, le Fonds monétaireinternational (FMI) apparaît comme un arbitre ayant à cœur defaire respecter l’ordre et la discipline ; dans l’autre, il joue encoreune fois son rôle de supplétif de la finance mondialisée.
Si ces deux perspectives contiennent chacune quelques éléments devérité, l’une comme l’autre sont fondamentalement erronées. Lastratégie de défense des dirigeants européens ne tient évidemmentpas compte du fait que l’énorme déficit des budgets publics résulteen grande partie des dizaines de milliards engloutis dans lesauvetage des banques, et que le crédit accordé à Athènes servira enpremier lieu à rembourser sa dette aux banques françaises etallemandes. L’aide européenne à la Grèce n’a d’autre fonction quede secourir le secteur bancaire privé. En face, l’argumentaire desmécontents trahit à nouveau l’indigence de la gauchecontemporaine : il ne contient aucun volet programmatique, justeun refus de principe de voir disparaître les acquis sociaux. L’utopiedu mouvement social ne consiste plus à changer le système, mais à se convaincre que celui-ci peut s’accommoder du maintien de l’Etat-providence. Cette position défensive appelle une objection difficile à réfuter : si nous demeurons dans les clous (...)
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