CHRONIQUE Vendredi15 avril 2011
Et pourquoi pas un défaut grec?
Comme servir sa dette lui devient de plus en plus onéreux alors que les Européens paraissent paralysés, le gouvernement grec aura bientôt peut-être intérêt à agir seul et à faire défaut, ouvrant ainsi une boîte de Pandore fort dangereuse pour l’UE elle-même
Et si le gouvernement grec faisait défaut…? Certes, les officiels se voilent la face à l’énoncé même du mot, mais ce ne serait pas le premier État à agir ainsi. D’abord, il y a défaut et défaut. Il peut s’agir d’un rééchelonnement – rescheduling en anglais – qui modifie les conditions des prêts. Généralement, on repousse les échéances de 10, voire 20 ans, ce qui renvoie les remboursements aux calendes… grecques; on peut aussi négocier une réduction de l’intérêt payé pour alléger le fardeau de l’emprunt. Au pire, l’État endetté renie ses engagements et cesse simultanément de les servir. C’est plus rare, même pour la dette externe, et c’est souvent consécutif à un changement de régime comme la France révolutionnaire le fit avec les dettes royales, d’où la ruine des banquiers genevois d’alors, ou les Soviets avec les emprunts tsaristes, même si parfois une simple élection suffit comme récemment encore en Équateur et, surtout, en Argentine. S’il ne risque plus, comme par le passé, une intervention militaire, le gouvernement en défaut d’une dette externe court le danger que ses actifs se trouvant à l’étranger soient bloqués et, surtout, que les marchés financiers internationaux se ferment devant lui, tout nouvel emprunt de sa part pouvant être saisi avant même d’être transféré. Pour éviter ces représailles, l’État débiteur a tout intérêt à trouver une solution à l’amiable avec ses créanciers. De nombreux emprunts obligataires comportent d’ailleurs une clause dite collective par laquelle tout acquéreur de ce papier accepte par avance la solution négociée en cas de difficultés et adoptée par une majorité, qualifiée ou non, des autres prêteurs. Une telle clause n’est en général pas nécessaire pour les débiteurs bien notés – les AAA en particulier – mais, dès 2013, elle deviendra obligatoire pour tous les emprunts publics de la zone euro, y compris pour l’Allemagne. Il sera alors intéressant de voir comment les agences de notation réagiront.
D’un côté plus positif pour lui, l’État en défaut, en cessant de payer les intérêts débiteurs, y gagne une diminution notable des dépenses publiques et de son déficit budgétaire. Dans l’immédiat, c’est un gain net pour le pays sur la part de la dette détenue à l’étranger et un transfert en faveur du gouvernement sur celle en mains des résidents, en quelque sorte un impôt extraordinaire sur les prêteurs nationaux. Cette économie peut être assez substantielle pour rétablir le budget ou peu s’en faut, comme ce serait d’ailleurs le cas de la Grèce qui, en cas de défaut total, verrait son déficit passer de 16 à 1 milliard d’euros par an. Le gouvernement n’aura alors plus besoin d’emprunter pour continuer à fonctionner ce qui tend à rééquilibrer son économie. Mais l’histoire ne s’arrêtera pas là. Tout dépendra alors de la position externe nette du pays. Si cette dernière est déficitaire, comme c’est presque de rigueur en cas de défaut étatique, une forte dépréciation du change s’ensuivra, déclenchant une inflation interne bénéfique aux débiteurs et relançant les exportations, ce qui compensera en quelque sorte les pertes causées par la cessation du service de la dette publique.
Cette voie n’est évidemment pas ouverte à la Grèce ou à tout autre pays de la zone euro, mais ce n’est pas forcément le grand désavantage mis en avant par tant de commentateurs. C’est que dans ce cas, seul l’État étant en défaut, les privés grecs ou autres pourront en principe continuer à bénéficier d’un financement européen privé, surtout d’origine bancaire, d’autant que le risque de change est minime dans ce cas. Sur ce plan, on ne tirera pas de conclusions définitives des chiffres de prêts bancaires à la Grèce publiés par la BRI. Non pas qu’ils soient faux mais parce qu’on a tendance à les interpréter comme des crédits vis-à-vis de l’État grec en oubliant qu’une partie d’entre eux – mais laquelle? – a été accordée à des ménages ou des entreprises hellènes qui sont actuellement et paradoxalement moins risqués que le Trésor d’Athènes.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule inconnue sur le plan bancaire. En cas de défaut, les plus touchées seraient les banques en mains grecques vu la masse importante – dit-on – des titres publics nationaux qu’elles détiennent. Leurs fonds propres seraient entamés – au point qu’elles auraient des difficultés avec les règles dites de Bâle III, mais on pourrait sans doute fermer les yeux – et, surtout, elles y perdraient le paiement des intérêts sur leurs titres publics. Pour compenser ces pertes, il leur faudrait alors soit diminuer drastiquement leurs crédits internes ou monter leur taux débiteurs, deux mesures hautement déflationnistes. En outre, le public grec ne restera pas passif, car il interprétera sans doute tout annonce de défaut comme un préliminaire à l’abandon de l’euro. Il se précipitera alors pour transférer ses avoirs vers des banques étrangères ou convertir ses dépôts en billets, ce qui nécessitera sans doute un moratoire bancaire dans le pays. Quant aux banques étrangères actives en Grèce – les françaises en particulier – il n’est pas certain qu’elles replaceraient automatiquement dans le pays ces montants en provenance des banques purement grecques, car elles risqueraient de devoir accroître leur couverture en fonds propres sur de tels actifs, plaisir de Bâle III. Dans ces conditions, la déflation entraînée par un défaut public pourrait être telle qu’elle ferait a posteriori apparaître comme bénigne la conjoncture hellénique actuelle.
Cependant, comme les autorités grecques se font sans doute les mêmes réflexions, elles vont tout faire pour éviter les dégâts collatéraux décrits ci-dessus et, en particulier, d’énormes pertes dans la sphère bancaire. Ainsi, au lieu d’un défaut brutal, elles pourraient rééchelonner leur dette à plus très long terme et à bas taux d’intérêt ou bien ne faire défaut que vis-à-vis des non-résidents, ce qui limiteraient les pertes intérieures. Il leur faudrait sans doute aussi déclarer une intransférabilité temporaire des comptes grecs, un moratoire bancaire et sans doute contrôler les mouvements de capitaux. Certes, toutes ces mesures violeraient les règles de l’UE, mais vu la dégradation de la situation et la paralysie des instances européennes, que peut vraiment faire le gouvernement grec? À la limite, il peut quitter le navire et abandonner l’euro. Certes, au nord du continent, nombreux seraient ceux qui lui diraient au revoir avec plaisir en oubliant que le Portugal, l’Irlande ou, même, l’Espagne pourrait suivre rapidement, menaçant l’UE elle-même. Ils devraient se souvenir qu’il faut se méfier des Grecs, même lorsqu’ils font un cadeau comme le cheval de Troie, et c’est Virgile, un Italien (!), qui le disait…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire