euro|topics

Radio Classique



jeudi 17 février 2011


Jacques Sapir : pourquoi la France ne doit pas copier l'Allemagne (2)

Nous poursuivons la publication de l'article de Jacques Sapir sur les stratégies économiques possibles de la France. Où l'on apprend que les ho et les ah de nos experts sur l'excellence allemande ne sont pas fondés sur un examen détaillé de l'économie du pays.



(Flickr - marfis75 - cc)

Jacques Sapir poursuit son raisonnement en analysant le pourquoi de la compétitivité allemande : non pas, comme le disent beaucoup de commentateurs, une meilleure productivité de ses salariés (celle des salariés français est par exemple supérieure) mais un coût du travail plus grâce au transfert des charges sur les ménages.
En fait, l'excédent commercial de l'Allemagne s'effectue au détriment des pays européens (75% des exportations dans les pays européens) et non en Chine où dans le reste du monde, où le pays perd des parts de marché ou stagne. Conséquence pour la France,
A l'inverse, la France, dont près de la moitié des exportations se situe hors zone euro, perd entre
1,5% et 2,1% de croissance à cause de la surévaluation de l'euro.

LA CONTRAINTE DE L’EURO SUR LE COMMERCE « HORS ZONE ».

Ces contraintes se divisent en contraintes s’exerçant sur le commerce extérieur à la zone euro et en contraintes à l’intérieur de la zone euro. L’effet de ces contraintes tend à s’accumuler sur l’économie de notre pays en raison de sa structure d’échange qui n’est que partiellement tournée vers la zone euro.Il faut rappeler la continuité des arrêts de la cour constitutionnelle allemande sur ce point.

L’euro joue un rôle important dans le commerce « hors-Zone » que ce soit par le taux de change avec le dollar ou par l’effet d’attractivité ou de répulsivité de la zone pour les services financiers.

Il faut tout d’abord savoir que la France fait partie des pays de la zone Euro dont le commerce avec l’extérieur de la zone est le plus important, se situant à cet égard juste au-dessus de la Grèce (le Luxembourg étant un cas particulier en raison du poids de ses services financiers).

Jacques Sapir : pourquoi la France ne doit pas copier l'Allemagne (2)
Les variations de ces parts sont très importantes entre pays de la zone euro et certains pays qui ne sont pas membres de cette zone ont même un commerce plus important avec la zone euro que des pays membres. Alors que le commerce libellé en euro représente 74% des exportations de l’Italie, 63% de celle de l’Allemagne et 60,8% de celles de l’Espagne, on tombe à 52,4% pour la France. Calculée cette fois en moyenne des importations et des exportations, la part du commerce libellé en Euro est de 60,6% pour l’Allemagne et de 48,8% pour la France.

Ceci explique la très grande sensibilité de notre économie à une surévaluation de l’euro. Rappelons que dans son étude, F. Cachia (3) montrait que, par tranche de 10% de surévaluation par rapport à un taux de change d’équilibre, nous perdions entre 0,5% et 0,7% de croissance.

LA STRUCTURE DU COMMERCE EXTÉRIEUR.

Si l’on admet que ce taux correspondrait à 1,05 USD, taux qui ne fut plus retrouvé depuis le début de 2003, alors que nous atteignons actuellement 1,35 USD (au taux journalier), nous subissons à une surévaluation de 30% et nous perdons entre 1,5% et 2,1% de croissance, sur un taux estimé à 1,5% / 2%… 

Graphique 1 :

Jacques Sapir : pourquoi la France ne doit pas copier l'Allemagne (2)
Source : ECB

Pour un pays ayant soit une structure d’échanges différente par rapport à la zone euro, soit commerçant sur des produits différents, le taux de change critique serait naturellement différent. L’un des problèmes que soulève la monnaie unique est justement d’imposer un taux de change unique à des économies qui sont largement différentes.

Le manque de réglementation interne de la zone euro est aussi un facteur préoccupant, puisque les législations bancaires (banque de détail) sont largement différentes et que ceci a entraîné une exposition plus importante des banques de certains pays au « risque de crédit » en 2006-2008. Les banques Allemandes (tableau 2), Espagnoles et Françaises ont ainsi développé une activité « hors zone » importante (liée au manque de dynamisme de la zone euro avant 2008) (4), et ont été des facteurs importants d’introduction des « produits toxiques » dans la zone Euro, que ce soit directement ou indirectement par le biais des SPV (Special Purpose Vehicles) auxquels ces banques avaient prêté.

ABSENCE DE RÉGLEMENTATION COHÉRENTE.

On aurait ainsi pu croire que la création de la zone euro s’accompagnerait du recentrage des banques sur cette zone. Il n’en a rien été. Une partie de l’épargne (importante) de la zone euro sert ainsi en fait à irriguer d’autres zones économiques du monde, dans des conditions de sécurité souvent très douteuses.

Tableau 2 : Montant des pertes et annulations sur les actifs des banques allemandes au 12 août 2008 en milliards de dollars.

Jacques Sapir : pourquoi la France ne doit pas copier l'Allemagne (2)
Source : FMI

Les documents sur les positions des banques françaises sont plus difficiles à obtenir que pour les banques allemandes, et même dans ce cas, les sources sont loin d’être complètes car elles reposent sur des déclarations volontaires. Cependant, la position de ces dernières à la veille de la crise des liquidités déclenchée par la faillite de Lehmann Brothers est un bon indicateur. Le fait que des plans importants de sauvetage des banques aient dû être mis en place tant en Allemagne qu’en France témoigne de l’exposition de ces dernières au risque international.

Si la zone euro a permis, par son laxisme, un grand développement à l’international des banques Françaises et Allemandes, ceci s’est aussi traduit par une raréfaction du crédit pour l’économie réelle dans la zone.

Les conditions de croissance relativement déprimées qui ont dominé dans le cadre de la zone euro peuvent aussi expliquer c détournement de l’activité des services bancaires au détriment des pays de la zone et en faveur des pays « hors-Zone ».

On sait que les pays de la zone euro ont des inflations structurelles très différentes les uns des autres (5). Il en découle une divergence importante de la compétitivité à l’intérieur de la zone, que des dévaluations ne peuvent plus venir équilibrer.

Calculé sur la base de l’indice des prix à la consommation, l’écart qui était par construction de 0% lors de la création de la zone, s’établit désormais à plus de 20% % (écart Allemagne - Irlande), plus de 15% (écart Allemagne - Espagne, Grèce) plus de 10% (écart Allemagne - Belgique, Italie).

Graphique 2 :

Jacques Sapir : pourquoi la France ne doit pas copier l'Allemagne (2)
Source : OCDE

Cependant, la compétitivité ne se mesure que très imparfaitement par l’indice des prix à la consommation. L’utilisation des prix à la production, et donc du déflateur du PIB, est une mesure plus robuste. On constate que les écarts sont encore plus grands en utilisant cet indicateur.

L’écart absolu apparaît de 30 points (en base 100) et il est le plus important pour l’Espagne (30 points d’écart avec l’Allemagne). Ce pays est suivi par la Grèce (22 points d’écarts), la Grèce, le Portugal, l’Irlande et les Pays-Bas (entre 18 et 16 points d’écart), enfin la Belgique et la France (de 12 à 10 points d’écart).

L’introduction des gains de productivité permet d’affiner encore le raisonnement. L’indice de coût salarial réel fait intervenir, outre la hausse des prix, les gains de productivité de chaque pays, mais aussi les charges qui pèsent sur le travail.

Graphique 3 : 

Jacques Sapir : pourquoi la France ne doit pas copier l'Allemagne (2)
Source : OCDE

Graphique 4 :

Jacques Sapir : pourquoi la France ne doit pas copier l'Allemagne (2)
Source : OCDE

On constate alors que l’on a une différence de 25 points entre l’Allemagne et les pays comme l’Italie, l’Espagne ou la Grèce. De plus, de manière générale, l’Allemagne a un coût salarial réel inférieur de 15 points à la majorité des pays de la zone euro, et ceci alors que la productivité du travail en Allemagne est inférieure à celle de la France (de même que le temps de travail…).

Ainsi s’explique par une combinaison de faible inflation et de transfert d’une partie des coûts
fiscaux sur les ménages l’énorme avantage compétitif que l’Allemagne a acquis sur l’ensemble des pays de la zone euro.

En fait, l’excédent commercial de l’Allemagne sur la zone Euro représente 60,5% de son excédent total, et globalement elle réalise 75% de son excédent sur les pays de l’Union européenne. C’est une proportion très élevée pour un pays qui se prétend un exportateur « global ». On constate en effet que, depuis deux ans, les soldes avec la Chine et l’Inde sont devenus équilibrés, voire négatifs. L’excédent réalisé sur les États-Unis est en 2009 de 18 milliards de dollars, soit une somme équivalant au solde du commerce allemand avec l’Autriche et nettement inférieure au solde du commerce avec la France.

Tableau 3 : 

Jacques Sapir : pourquoi la France ne doit pas copier l'Allemagne (2)
Données du commerce extérieur allemand.

Le gain de commerce extérieur de l’Allemagne a tendu en réalité à se réduire avec les pays hors-Ue depuis 2002/2003. L’Allemagne a compensé ces pertes de compétitivité globale par un surcroît de compétitivité dans la zone euro. Ceci peut à la fois se lire dans le graphique 5 et dans le tableau 3.

On y voit l’effet de la politique menée par l’Allemagne, mais qui ne fut possible que parce qu’elle était la seule à la mener. Si tous les pays de la zone Euro avaient eu une politique similaire l’excédent commercial allemand aurait été bien moins fort mais - surtout - nous aurions eu une crise majeure dans la zone Euro en raison de l’addition des politiques récessives sur la demande intérieure.

On peut aussi noter un important solde positif des Pays-Bas. Ce pays aurait-il trouvé une solution miracle ? En fait, c’est la position particulière de ce pays comme exportateur et surtout revendeur de gaz (acheté à la Russie ou à d’autres pays et stocké sur son territoire) qui explique ce solde positif. Il n’y a donc nul miracle hollandais…

Graphique 5 : 

Jacques Sapir : pourquoi la France ne doit pas copier l'Allemagne (2)
En fait, la zone euro apparaît comme un instrument qui permet à l’Allemagne de maintenir sa politique néo-mercantiliste en dépit de la surévaluation de l’Euro, en compensant les parts de marché qu’elle perd dans le reste du monde par ce qu’elle gagne sur ses partenaires de la zone euro qui ne peuvent dévaluer.

3 : F. Cachia, « Les effets de l’appréciation de l’Euro sur l’économie française », in Note de Synthèse de l’INSEE, INSEE, Paris, 20 juin 2008. Voir aussi l’article prémonitoire de S. Federbusch, « La surévaluation de la monnaie unique coûte cher à la croissance » in Libération, rubrique « Rebonds », 26 avril 2006
4 : J. Bibow, « Global Imbalances, Bretton Woods II and Euroland’s Role in All This » in J. Bibow and A. Terzi (eds), Euroland and the World Economy: Global Player or Global Drag?, New York (NY), Palgrave Macmillan, 2007. J. Sapir, « The social roots of the financial crisis : implications for Europe » in C. Degryze, (ed), Social Developments in the European Union : 2008, ETUI, Bruxelles, 2009.

5 : C. Conrad et M. Karanasos, « Dual Long Memory in Inflation Dynamics across Countries of the Euro Area and the Link between InflationUncertainty and Macroeconomic Performance », in Studies in Nonlinear Dynamics & Econometrics, vol. 9, n°4, nov. 2005 (publié par The Berkeley Electronic Press )

Mardi 15 Février 2011
Jacques Sapir - Économiste

Aucun commentaire:

Combats pour les droits de l'homme (CPDH)

Journal d'un avocat


La Russie d'Aujourd'hui

Opinions - La Russie d'Aujourd'hui

La Tribune.fr - Actualité

Atlantico.fr

Romandie

La Chronique Agora

Reporterre

Jean-Pierre CHEVALLIER

le blog a lupus...un regard hagard sur l'écocomics et ses finances....

Démystifier la finance

Olivier Demeulenaere - Regards sur l'économie

Blog gaulliste libre

Forum Monétaire de Genève

Les-Crises.fr

Changes & matières premières

Blog de Paul Jorion

Olivier Crottaz

Le blog de Bruno Colmant

Fair Trade

Buzness

Les cracks en action

Lu Pour Vous

Blog de Marc Candelier

Institut des Libertés

Argent Or Europe (Edito.)

Flore Vasseur Blog

Archives du blog


συνολική επισκεψιμότητα


France Radios


This Day in History



DW-WORLD.DE Greek

Ρωσία ΤΩΡΑ

ΑΠΟΨΕΙΣ - Ρωσία ΤΩΡΑ

ΡΩΣΙΑ ΣΤΟΝ ΚΟΣΜΟ - Ρωσία ΤΩΡΑ


Taxheaven - Νέα ειδήσεις

Taxheaven - Νέες αποφάσεις

TO BHMA Οικονομία

Μωρίας Εγκώμιον

Ε.Μ.ΠΡΟ.Σ. για αναπτυξη

ΔΙΚΤΥΟ - ΔΙΟΔΩΡΟΣ

EuroCapital

CYNICAL

Η ΝΑΥΤΕΜΠΟΡΙΚΗ : NEWSROOM

Capital.gr -- Σιωπητήριο

TO BHMA Κόσμος

Πολιτική

TO BHMA Γνώμη

Επιστήμη

Rizospastis: World stories

ΙΣΤΟΛΟΓΙΟΝ

E-Lawyer

ΝΕΕΣ ΑΝΑΡΤΗΣΕΙΣ απο ελληνικούς ιστοτόπους


Le Monde diplomatique

Courrier international - L'anticipation au quotidien

Coulisses de Bruxelles, UE

euronews

Le Monde.fr : à la Une

Opinions - Le Monde.fr

Economie - LeMonde.fr

Le Point.fr : Monde

Les Echos - actualité à la Une des Echos.fr

TV5.org info - Economie/finances

Le Point.fr : Economie



Nouriel Roubini Economic Doom Blog

NYT > Greece

Επιλογή απο αγγλόφωνους ιστοτόπους


Ανοικτή Διακυβέρνηση www.opengov.gr

curia.europa.eu

Google News Greece

Capital.gr -- Με Άποψη

H KAΘHMEPINH : MONIMEΣ ΣTHΛEΣ

GreekBloggers.com

EMSC - Last 60 earthquakes worldwide


Lalibre.be - La Une

LeTemps.ch | Actualité

WWF Ελλάς

Ο καιρός στην Ελλάδα απο το Metar.gr


Ηλεία ειδήσεις ενηέρωση Αθλητικά νέα του Ν.Ηλείας επιχειρήσεις νομού Ηλείας Πύργος

ΤΑΜΕΙΟ ΝΟΜΙΚΩΝ

Membres

Avocats de France | CNB | Conseil National des Barreaux | Toute l'actualité des avocats

le Village de la Justice - Le 1er site de la communauté des professions du Droit

Derniers articles juridiques

Derniers sujets du forum