Andorre va rendre des comptes à son co-prince Nicolas Sarkozy
Par Pauline de Saint Remy

Entre 600 et 800 milliards d'euros échappent chaque année aux pays en développement à cause des paradis fiscaux, selon l'ONG CCFD-Terre Solidaire © SIPA
Trois heures de congés payés obligatoires ont été offertes aux habitants de la principauté d'Andorre pour l'occasion : Nicolas Sarkozy est de visite, jeudi, à Andorre-la-Vieille. Le président de la République - qui est aussi co-prince d'Andorre - sera le cinquième chef de l'État français à se rendre dans ce pays niché entre la France et l'Espagne. Mais cette visite-là a une saveur particulière. Elle pourrait sceller la réconciliation entre les deux pays, un an et demi après que Nicolas Sarkozy a publiquement menacé de renoncer à sa co-suzeraineté, si Andorre ne sortait pas de la liste noire des paradis fiscaux établie par l'OCDE.
Car désormais, c'est chose faite : Andorre en a été définitivement retirée le 24 février dernier, au prix d'accords d'échanges d'informations signés avec 17 autres pays. Et le Premier ministre andorran Jaume Bartumeu Cassany, qui a été reçu en février à l'Élysée, en est convaincu : "Nicolas Sarkozy vient nous exprimer sa satisfaction." Jean Merckaert, spécialiste des paradis fiscaux pour l'ONG CCFD-Terre solidaire, se montre moins enthousiaste : "C'est plus que le minimum de 12 accords qu'exigeait l'OCDE, mais on y trouve des pays qui, eux-mêmes, figuraient sur la liste, tels que Saint-Marin ou Monaco", note-t-il. Sceptique, il ajoute : "De toute façon, une promesse d'échanges d'informations n'est rien sans la mise en place d'un échange automatisé. Dans les faits, Andorre ne sera obligée de donner des informations que lorsque le fisc détiendra des informations précises sur cette personne, comme un numéro de compte par exemple. Or, cela n'arrive jamais."
Changement de cap gouvernemental
Mais le chef du gouvernement socialiste, arrivé au pouvoir en avril 2009, ne crie pas victoire. Jugeant prématuré de dire qu'Andorre n'est plus un paradis fiscal, il s'explique : "On est à la manoeuvre, on y travaille", et se justifie : "Vu le contexte économique de crise, la levée du secret bancaire que nous proposons est déjà importante. Parlez-en aux banquiers andorrans, ils vous expliqueront..."
Si certains observateurs jugent ces concessions encore insuffisantes, il ne fait aucun doute que le gouvernement de Jaume Bartumeu Cassany a amorcé un changement de politique sur la question fiscale par rapport à ses prédécesseurs conservateurs. Deux projets de loi sont actuellement examinés au Conseil général (parlement) de la principauté : l'un porte sur la création d'une TVA à 4,5 % et l'autre sur la mise en place d'un impôt sur le revenu, à hauteur de 10 % environ. Pour Jean Merckaert, "ce taux reste faible et donc très attractif." Si le Premier ministre andorran le reconnaît et évoque à demi-mot une marge de progression, il rappelle qu'il s'agit déjà d'une petite révolution pour son pays. "Ce taux correspond au minimum exigé par l'UE. C'est à peu près celui qui est appliqué en Bulgarie, par exemple. Et vu la crise épouvantable que l'on connaît en ce moment, c'est déjà beaucoup."
"Un satisfecit serait totalement prématuré" (ONG)
La question de l'opinion publique ne fait pourtant pas peur au Premier ministre : "Certes, l'augmentation de la fiscalité n'est pas une mesure qui suscite fréquemment l'enthousiasme", plaisante-t-il. "Mais, en 2009, beaucoup de professionnels et d'entrepreneurs andorrans ont compris que les partenariats avec l'UE et le fait de sortir de la liste de l'OCDE pourraient les aider", explique-t-il. "D'ailleurs, cette nouvelle fiscalité ne vient pas seule : nous allons entamer des négociations sur des conventions avec l'Espagne et la France pour éviter la double imposition à l'exportation, puisque, dans ces pays, le fisc surtaxe nos exportations."
Les menaces de Nicolas Sarkozy, en février 2009, semblent donc bien loin. "On a compris pourquoi il avait fait ces déclarations", assure Jaume Bartumeu. "Le gouvernement de l'époque tenait un double discours. Certains ont été indignés à droite, moi pas. Nous, nous avons tenu notre parole", affirme-t-il. Pour Jean Merckaert, du CCFD, il reste beaucoup de chemin à faire à Andorre comme aux autres. Il rappelle que la principauté figure parmi les cinq États non coopératifs de la liste noire du Groupe d'action financière contre le blanchiment des capitaux (GAFI), établie en 2005. "Un satisfecit serait totalement prématuré. Beaucoup trop de questions restent en suspens", prévient-il. Oubliée du dernier G20 à Toronto, la question des paradis fiscaux devrait faire son retour à Séoul en novembre, sous la présidence française du G20. Autant dire que Nicolas Sarkozy n'a pas fini, lui non plus, d'en faire son cheval de bataille.
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