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jeudi 25 novembre 2010

La honte est une émotion socialisante, car elle suppose l’intériorisation des valeurs et des normes sociales: sans elle, on ne pourrait simplement pas vivre ensemble. La honte est probablement aussi un vecteur de morale. Les pervers et les psychopathes n’ont jamais honte. Un zeste de honte est un facteur de moralisation et l’arrêt de la honte est la preuve de la perversion.

Boris Cyrulnik. (Eddy Mottaz)Logo

RENCONTRE CYRULNIK-SCHERER Vendredi19 novembre 2010

Avenir de la honte

PAR ANNA LIETTI
Va-t-elle disparaître ou prospérer? Deux experts en émotions, Boris Cyrulnik à Paris et Klaus Scherer à Genève, s’intéressent à la plus intime et la plus sociale d’entre elles. Anna Lietti les a réunis
Le premier postule la disparition progressive de la honte. Le second en parle, dans son dernier livre 1, comme d’une «souffrance d’avenir». La tentation était grande de confronter Klaus Scherer et Boris Cyrulnik pour avoir le fin mot de l’affaire.
Ce n’était pas leur première rencontre, lundi, dans les locaux du TempsKlaus Scherer, qui dirige à Genève le Centre interfacultaire en sciences affectives , et Boris Cyrulnik, neuro­psychiatre français et médiatique avocat de la notion de résilience, se connaissent et s’apprécient. Tous deux s’intéressent de près à la honte qui est, au carrefour entre l’intime et le social, un objet scientifique particulièrement fuyant.
Sur bien des points, les deux ­experts en émotions se rejoi-gnent. Mais sur l’avenir de la honte, leur conversation est loin d’être terminée.
Le Temps: En quoi la honte est-elle une émotion sociale?
Klaus Scherer: Elle est à la fois hautement personnelle et hautement sociale. La honte surgit d’une part lorsque l’on va à l’encontre des normes et des valeurs sociales, d’autre part lorsqu’on se trouve en contradiction avec l’image que l’on aimerait avoir de soi. Or, cette image elle-même se constitue sur la base du regard des autres.
– Boris Cyrulnik, vous écrivez «Il n’y a pas de honte là où il n’y a pas le regard de l’autre.» Vous êtes donc d’accord?
B. C: Tout à fait. Observez un petit enfant: il se promène tout nu, il montre ses parties les plus intimes, il n’a pas honte. Ce sentiment n’apparaît chez lui que vers 4 ans, lorsqu’il devient capable de se différencier des autres, c’est-à-dire de se représenter ce qu’ils se représentent de lui.
– L’acceptation de la nudité relève de la convention sociale. Mais si à la source de la honte il y a un vrai traumatisme, un viol par exemple?
B. C.: Une femme qui a été violée et qui se représente ce qui lui est arrivé sera désespérée. Mais la honte proprement dite ne l’envahira que lorsqu’elle aura à raconter son viol au policier de service. Car en lui parlant, elle sait qu’elle va installer, dans l’esprit de son interlocuteur, une image dégradée d’elle-même.
– Vous avez parlé de «sentiment»: la honte est-elle une émotion ou un sentiment?
B. C.: Je dis que la honte est un sentiment, contrairement à la colère par exemple, qui est une émotion, car je peux déclencher chez vous une colère en vous injectant une substance. Je ne peux pas provoquer votre honte de manière purement physiologique.
K. S.: Je ne suis pas d’accord de dire que la honte n’a pas d’assise physiologique. La recherche empirique montre qu’elle est associée à une sensation de chaleur. La composante cognitive est très importante dans la honte, mais elle n’est pas la seule. C’est différent pour la culpabilité, qui peut être une émotion froide, purement cognitive.
B . C.: J’entends, par sentiment, une émotion provoquée par une représentation. Le facteur biologique est bel et bien présent dans cette affaire: je parle dans mon livre des petits transporteurs de sérotonine, qui sont probablement plus sensi bles à la honte alors que chez les gros transporteurs, le corps réagit plus paisiblement à une représentation. Il y a donc un déterminant biologique, mais il influe sur l’émotion provoquée par le sentiment plus que sur la honte elle-même.
– Vous relevez tous deux que la honte a une fonction de contrôle social. Elle sert à économiser les forces de police, en somme?
B. C.: Sur le plan social et culturel, la honte est une arme puissante de conformisme. C’est grâce à la honte que l’on peut tenir les enfants, empêcher les femmes d’avoir des relations sexuelles avec un autre homme que celui qui leur a été attribué. C’est grâce à elle aussi que les hommes sont prêts à se sacrifier au combat en chantant, car ils mourraient de honte s’ils s’enfuyaient.
K. S.: D’accord, mais il y a aussi la face positive de l’adéquation aux règles communes. La honte est une émotion socialisante, car elle suppose l’intériorisation des valeurs et des normes sociales: sans elle, on ne pourrait simplement pas vivre ensemble.
B. C.: C’est vrai. La honte est probablement aussi un vecteur de morale. Les pervers et les psychopathes n’ont jamais honte. Un zeste de honte est un facteur de moralisation et l’arrêt de la honte est la preuve de la perversion.
– Une société qui fonctionne bien, c’est une société où circule la juste dose de honte?
K. S.: Absolument. Certaines sociétés misent trop sur la honte comme mécanisme de régulation. On parle de «shaming societies»…
B. C.: Les cultures de l’honneur!
K. S.: Oui, quand l’honneur est trop important dans une culture, il amène la honte. On le voit bien aujourd’hui avec les terroristes: ils évoquent l’humiliation de l’honneur bafoué pour légitimer leurs actes.
– Klaus Scherer, est-ce parce que la thématique de l’honneur tend à disparaître dans nos sociétés que vous prédisez la disparition de la honte?
K. S.: Ce que nos recherches ont montré, c’est que l’incidence de la honte est plus importante dans les sociétés de type collectiviste, où ce qui prime, c’est le lien social et familial. Dans les sociétés individualistes comme la nôtre, c’est la liberté des personnes vis-à-vis des contraintes sociales qui est valorisée. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai commencé à parler de la disparition de la honte: de plus en plus, l’individu est conscient de ses droits, mais il faut des trésors de convictions pour lui faire accepter qu’il a aussi des devoirs envers la communauté. La transgression sociale n’est plus motif de honte: l’important, c’est de ne pas se faire pincer.
– Boris Cyrulnik, vous parlez quant à vous de la honte comme d’une «souffrance d’avenir». Pourquoi?
B. C.: Dans ce que je préfère appeler les cultures de la personne, je vois émerger une nouvelle source de honte. Narcisse, dans les publications psychanalytiques, est en train de supplanter Œdipe. Sous son empire, le sujet est régi par l’injonction de performance. Il prend donc davantage le risque de la honte car s’il échoue à réaliser l’image de soi qu’il espère, cela entraîne une déchirure intérieure, une blessure narcissique. C’est ce que j’appelle la nouvelle racine de la honte.
– Prenons un exemple. Dans votre livre, vous rappelez qu’il y a moins d’un siècle, une honnête femme n’osait pas avouer qu’elle jouissait en faisant l’amour avec son mari. Aujourd’hui, elle aurait plutôt honte de ne pas atteindre l’orgasme, non?
B. C.: Tout à fait. Dans le cadre d’un groupe «Résilience et maladie d’Alzheimer», je rencontre régulièrement des vieilles dames de 90 à 100 ans. J’entends très souvent cette phrase: «Quand le plaisir me surprenait, j’avais honte.» La doxa de l’époque était que seules les femmes de mauvaise vie ont des orgasmes – ce qui d’ailleurs n’est pas vrai, elles n’en ont pas. Mais il y a eu, dans ces années-là, des psychanalystes qui ont écrit: une femme qui bouge pendant l’amour est une femme de mauvaise vie.
K. S.: Le contenu de ce qui fait honte change, oui, et c’est très intéressant. Quand j’étais petit, en Allemagne, il était impensable de se montrer nu. Et tout a changé avec 68. Dans les années 80, nous avons interrogé des étudiants pour savoir ce qui leur faisait honte. Tout ce qui était lié à la nudité venait en toute fin de liste. En première place, il y avait: «Mon ami tient des propos néonazis.»
– C’était dans les années 80. Aujourd’hui, en tête de liste pourrait figurer le fait de manger de la viande, ou de s’attarder sous la douche?
K. S.: Absolument! Voyez le succès des militants anti-viande. Au restaurant avec des amis, je commence à entendre: «J’ai un peu honte de commander un steak…» Même si, au bout du compte, ils le commandent quand même.
– La honte est donc en train de se déplacer, pas de disparaître!
K. S.: Il y a en effet un important déplacement. Mais le phénomène de disparition n’est pas à négliger. Je vous ai apporté un tableau illustrant les émotions ressenties par les Suisses (voir graphique, ndlr). La question était: quelles émotions avez-vous ressenties dans la journée d’hier? La honte est reléguée tout en bas de la liste.
B. C.: Je ne connaissais pas ce travail. Il pourrait être un indice du glissement des sociétés occidentales vers la perversion: je ne tiens plus compte des autres, la seule chose importante est ma performance. Une autre manière de considérer ces résultats est de tenir compte du travail de Bernard Rimé sur le partage des émotions2. Il montre qu’on parle beaucoup de certaines émotions, comme la colère, ou même la dépression, qui était tue il n’y a pas si longtermps. Mais que la honte est très peu parlée, ce qui se comprend aisément: si je dis ce qui m’a fait honte, j’aurai honte. Il y a donc un risque de sous-évaluer l’incidence de la honte.
K. S.: Notre questionnaire était anonyme et écrit, ce qui peut limiter ce biais. Mais je suis d’accord, la honte est probablement moins absente qu’il n’y paraît de notre vécu. D’un autre côté, on lit de toutes parts des signes de son déclin. Un autre exemple: quand j’étais enfant, un outil courant de discipline était de dire aux enfants: «Tu n’as pas honte?» Aujourd’hui, quand quelqu’un dans la rue se comporte de manière inacceptable, il récolte tout au plus des regards désapprobateurs. Lesquels suffisent en général à déclencher une réaction agressive.
B. C.: Pour aller dans votre sens, je propose de distinguer les pervers des pervertis. Les pervers sont ceux qui sont incapables de se décentrer d’eux-mêmes et pour lesquels l’autre n’existe pas. Les pervertis, eux, n’ont pas ce problème mais ce sont des gens qui, à force de se soumettre à une seule représentation sociale, finissent par ignorer les représentations sociales d’autres cultures, d’autres familles, d’autres groupes. Psychologiquement, ils ne sont pas pervers, mais ils se comportent socialement comme s’ils l’étaient.
K. S.: C’est une bonne formulation.
– Donnez-nous un exemple de pervertis.
B. C.: Eh bien les nazis, les terroristes, les intégristes religieux, quelle que soit leur religion.
K. S.: J’aimerais mentionner un autre phénomène, celui de la trivialisation de la honte. Prenez la télévision: elle a pris l’habitude de miser complètement sur les émotions. Du coup, on y voit des gens qui racontent tout de leur intimité avec une impudeur extraordinaire.
B. C.: C’est un argument en faveur de votre hypothèse: peut-être que les cultures vont effectivement diluer, ou effacer la honte. En attendant, il ne faut pas avoir honte d’avoir honte.




5 commentaires:

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