ANALYSE Mercredi24 août 2011
Ne lions pas le franc à une monnaie malade!
La BNS a bientôt utilisé toutes ses cartouches. Les injections de liquidités sont de plus en plus massives. Mais davantage que les milliards dépensés, c’est l’allusion à un possible lien avec l’euro qui a frappé les esprits
La BNS a bientôt utilisé toutes ses cartouches. Les injections de liquidités sont de plus en plus massives. Mais davantage que les milliards dépensés, c’est l’allusion à un possible lien avec l’euro, ce que les experts appellent l’«open mouth politics» (la «politique de la bouche ouverte») qui a frappé les esprits, installé le doute chez les gérants de hedge funds, et provoqué une baisse du franc. Bluff ou non, la BNS a gagné du temps, même s’il est trop tôt pour évoquer un possible changement de tendance à long terme. Car le marché adore analyser, tester, fouiner dans les endroits les plus reculés de la zone euro et revenir à la charge afin que la lumière soit faite sur les bilans des banques et des Etats en difficulté. Comme pour Lehman Brothers en 2008. Car, en dépit des déclarations solennelles, de sirupeux sommets européens, des milliards d’euros offerts par des contribuables jamais consultés, et des achats peu orthodoxes de la BCE, la Grèce a dû annoncer un défaut sur sa dette, partiel mais réel. Cet été, la zone euro a franchi le Rubicon. Si l’aléa moral (la protection du «trop grand pour faire faillite») n’existe plus pour la Grèce, en serait-il autrement pour une autre nation, petite ou grande?
Les conséquences de ce changement de paradigme sont analysées par le Peterson Institute1 et Simon Johnson, l’ex chef de la recherche du FMI. Le mécanisme qui menace d’éclater est complexe et technique. Il porte sur le système de clearing des capitaux entre les banques centrales de la zone euro, donc sur la gestion des soldes financiers entre pays créanciers et débiteurs. La Bundesbank joue le rôle clé. Les débiteurs de la zone euro lui devaient déjà 340 milliards à la fin 2010. Le déroulement de la crise aggrave les déséquilibres. Mais il est clair que si une banque centrale n’acceptait plus les créances d’une autre, ce serait la fin de l’euro. Si les euros détenus dans les banques allemandes n’ont pas la même valeur que ceux détenus dans les banques irlandaises, l’euro a vécu, assure ce rapport. L’Allemagne paiera-t-elle encore longtemps?
Il est facile pour George Soros et d’autres esprits bien-pensants d’accuser l’Allemagne d’un manque de solidarité. Si une banque centrale de la zone ne paie plus, les autres la remplacent selon leur quota dans la BCE. Or la part de l’Allemagne atteint déjà 27%. A chaque faillite d’un Etat, sa part augmente. Les pressions sur l’Allemagne deviennent progressivement insupportables. D’ailleurs n’est-ce pas Wolfgang Schäuble qui, le premier, a osé parler publiquement d’un défaut de la Grèce? N’est-ce pas lui qui parle d’euro-obligations comme d’une «communauté d’inflation»?
Dans cette situation tendue, des budgets moins dépensiers ont été présentés qui partent d’hypothèses de croissance chaque jour plus irréalistes. Car l’économie européenne prend la direction souhaitée par les Verts, une croissance 0. Le financement des déficits publics sera donc encore plus laborieux. Le cercle vicieux est largement engagé.
Cela n’empêche pas les commentateurs de parler de «crise du franc fort». La bataille des mots n’est pas dérisoire. S’il y a crise du franc, c’est la Suisse qui doit agir, intervenir, dépenser, lancer des plans de relance, affaiblir sa monnaie en contradiction avec le mandat de stabilité. Ces pressions verbales sont encore plus fortes avant les élections. Pourtant, s’il y a crise, c’est celle de l’euro et de ses institutions. Or les autorités européennes refusent le signal des marchés, établissent un «mur de la honte» face aux investisseurs qui voudraient vendre leurs titres. Comme l’explique Beat Gygi, le chef de la rubrique économique de la NZZ, l’UE cherche à diriger l’économie et les monnaies, comme Moscou l’ambitionnait pour l’URSS avec ses plans quinquennaux. Cela s’est terminé par son éclatement et cela ne fonctionnera pas avec l’euro, écrit la NZZ.
En Suisse, pour réduire le choc monétaire, les exigences de plans de relance se font à nouveau plus vives. Un paquet de 2 milliards est en discussion. Pourtant les plans de relance budgétaire ont trois effets, un premier légèrement positif sur la croissance, puis un coup de frein dès qu’il s’arrête, et un deuxième choc négatif à la présentation de la facture (en augmentant les impôts ou en diminuant les dépenses) et par ses effets dissuasifs sur l’investissement.
Faut-il vraiment lier temporairement le franc à l’euro? L’idée s’appuie sur l’expérience faite en 1978. Le parallèle est sans doute justifié. A l’époque, non seulement le dollar mais le mark allemand également étaient en chute. La BNS avait supprimé différents contrôles de capitaux et communiqué un objectif de 80 face à un mark qui avait coté 120 quelques mois auparavant. La barrière a tenu. Personne ne peut savoir ce qu’il serait advenu sans cet objectif. Mais comme le rappellent les artisans mêmes de cette action 2, le changement de tendance s’était enclenché un mois plus tard lorsque les Etats-Unis de Carter avaient adopté une politique économique plus restrictive. Un mouvement conforté par la nomination de Paul Volcker à la tête de la Réserve fédérale.
La BNS pourrait aujourd’hui acheter massivement des devises au cours souhaité, à condition de resserrer sa politique monétaire le plus tôt possible. Mais en 1978 cet exercice avait échoué et l’inflation avait dépassé 6%, pénalisant alors l’épargne et, à travers le resserrement monétaire ultérieur, l’emploi.
On oublie aussi qu’en 1978, la BNS avait fixé un objectif de cours face à une monnaie dont la structure était saine. L’euro de 2011 n’est pas le mark de 1978.Qui sait à quoi ressemblera la zone euro dans trois ou six mois? L’euro n’a pas d’avenir sans changements institutionnels majeurs.
Ceux qui veulent lier le franc à l’euro n’ont pas compris qu’une monnaie n’est pas un jouet au service d’une élite politique ou de groupes d’intérêts. Une monnaie intègre les valeurs d’un pays. Ce n’est pas qu’une unité de compte. Le franc est le reflet d’une culture de stabilité, basée sur un système décentralisé, la démocratie directe, un système où chacun est responsable de ses actes.
La Suisse a, de nouveau, mieux traverser cette nouvelle crise que nos voisins parce qu’elle a agi avec prudence et moins céder que d’autres aux sirènes keynésiennes et socialistes. Le franc peut-il se lier à un modèle presque opposé? Selon Beat Gygi, le changement que doit opérer l’Europe, c’est de permettre aux citoyens de contrôler ses autorités. Il faut mettre un «frein à l’intégration européenne». L’inverse de l’idée d’euro-obligations.
La Confédération pourrait tout de même alléger les charges des ménages et des entreprises: la redevance TV coûte presque un demi-milliard. Les tarifs postaux, télécoms, CFF, et l’électricité, sans concurrence suffisante, sont chers, sans parler des impôts.
1. Europe on the brink, Peter Boone, Simon Johnson, Peterson Institute, juillet 2011.
2. Fixed ideas of money; Small states and exchange rate regimes in twentieth-century Europe, Tobias Straumann, Cambridge University Press, 2010
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