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dimanche 7 octobre 2012


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LA CHRONIQUE DE JEAN-PIERRE BÉGUELIN Samedi6 octobre 2012

BNS contre Londres et ses gnomes: aux points

PAR JEAN-PIERRE BÉGUELIN
Les interventions de la Banque nationale sont souvent fort critiquées dans un certain monde financier anglo-saxon. Pourtant, la BNS a d’excellents arguments pour sa défense, mais elle pourrait mieux les mettre en avant
Crier haro sur la Banque nationale suisse (BNS) est fort à la mode chez les spécialistes anglo-saxons, londoniens en particulier. Dernier épisode en date, l’étude, somme toutes assez superficielle, de l’agence de notation bien connue S&P faisant ressortir que la BNS ne place le fruit de ses interventions que dans des obligations émises au Nord du Rhin ou, à la rigueur, sur les bords de la Seine. En délaissant les papiers un peu trop délavés par le soleil méditerranéen, elle contribuerait à faire baisser le taux des bons emprunts au détriment des mauvais, accentuant ainsi les écarts entre les débiteurs et amplifiant la crise de la zone euro. C’est du moins ce qu’en ont tiré la plupart des commentateurs.
Remarquez qu’en toute logique, et même si les achats de la BNS étaient si massifs qu’ils influenceraient vraiment les taux, cette accusation ne tiendrait que si notre institut d’émission vendait des titres espagnols ou italiens pour acheter des papiers allemands ou français. Comme ce dernier obtient en fait ses euros sur le marché des changes, ses achats de Bunds ou d’OAT abaissent à la rigueur les taux de ces emprunts, mais ne gonflent en rien les besoins de refinancement italien ou espagnol. Or, ce qui intéresse au premier chef le Trésor madrilène ou romain, c’est le niveau absolu de ce coût – le véritable fardeau d’une dette détenue par les non-résidents – et non pas le surplus d’intérêt sur l’Allemagne qu’exigent les placeurs pour lui prêter. C’est que l’écart des taux entre deux titres – le «spread» en jargon –intéresse avant tout les spéculateurs de tout poil ayant des positions ouvertes sur lui. Entre deux débiteurs d’une même monnaie, cet écart d’intérêt est en effet loin d’être objectif car il refléte un sentiment du marché, chose éminemment temporaire s’il en est.
Ne dit-on toutefois pas qu’un pays devant payer plus de 7% d’intérêt sur ses emprunts signe par là son futur défaut? Certes, on le dit, mais personne ne sait vraiment d’où vient ce chiffre: souvenir de lectures bibliques ou vagues réminiscences du XIXe siècle. En fait, ceux qui le mettent en avant oublient tout simplement qu’au début de l’ère Reagan, le Trésor américain paya longtemps des taux supérieurs à 10% alors que l’inflation déclinait dans le pays, et cela sans que les États-Unis ne fassent défaut. Les prêteurs internationaux étaient d’ailleurs tellement friands de ces titres qu’ils ont alors fait monter le cours du dollar bien au-dessus de sa parité des pouvoirs d’achat. Rappelons que le cours d’une devise est dit à la parité des pouvoir d’achat lorsqu’il égalise les prix des biens et services de part et d’autre d’une frontière monétaire. Si les produits américains coûtent en moyenne 120$ aux États-Unis et les européens 100 € en Europe, un change 1,20$/€ équilibrera les prix des deux côtés de l’Atlantique, les marchandises américaines se vendant alors 100 € sur ce continent et la production européenne 120$ en Amérique. À 1,30 $/€, l’euro serait surévalué puisque les biens européens vaudraient en moyenne 130$ aux États-Unis alors qu’à 1,10$/€, c’est le dollar qui le serait, les produits made in USA étant offerts 9€ plus cher que les biens domestiques de ce côté de l’Atlantique.
En pratique, on approche cette parité en corrigeant la variation du change entre deux monnaies par la différence d’inflation entre les deux pays en question. Si, par exemple, le franc monte de 3%, ce qui force nos exportateurs à offrir leurs produits 3% plus chers, leur compétitivité ne s’érodera que si les prix étrangers s’élèvent moins que cela. Si ces derniers augmentent de 3%, cette inflation compense en fait le handicap dû à la montée du change. En termes réels – soit en tenant compte des différences d’inflation – l’appréciation de 3% n’en est alors pas une ou, en d’autres termes, le cours réel du franc n’a pas changé. Pour avoir une mesure de la sur- ou sous-évaluation globale d’une devise, il suffit alors de faire ce même calcul pour chacune des monnaies nationales avec lesquelles un pays commerce et d’en tirer une moyenne. C’est ce que fait la BNS en pondérant la moyenne de ces indices bilatéraux par l’importance de chaque pays pour les exportations suisses, ce que l’on appelle cours effectif réel du franc.
Or, depuis 1976, jamais cet indice n’a été si haut, et donc le franc ausi surévalué – par plus de 20% - qu’en été 2011, ce qui justifiait l’instauration d’un cours-plancher. Ce qui se justifie d’ailleurs toujours puisque, même à 1,20 franc/euro, la devise helvétique demeure surévaluée de quelque 10%. Et jusqu’où aurait-elle bondi si elle avait flotté librement quand l’euro s’est brutalement remis à vaciller au début de l’été? En mai, juin et juillet (derniers chiffres disponibles), quelque 150 milliards d’avoirs de non-résidents sont en effet entrés dans le giron des banques domiciliées en Suisse. Un tiers de ces fonds ont été déposés par le public non bancaire, un tiers par des banques étrangères, essentiellement dans leurs filiales domiciliées dans notre pays, et un tiers sous forme de titres avec, semble-t-il, une légère préférence pour les actions. Comme la BNS est intervenue pour 160 milliards durant ces trois mois, seuls 10 milliards des capitaux en quête de francs étaient en mains suisses, avant tout celle des sociétés d’assurances. Ainsi les interventions de notre banque centrale n’ont fait que refléter la nouvelle perception des risques chez les placeurs internationaux, ce qu’elle n’a certes pas cherché à modifier en préférant à son tour n’acheter que des titres suffisamment sûrs. Aurait-elle dû agir autrement ? Vu la cacade européenne actuelle, on peut à juste titre en douter.
Avec une demande de francs – et de francs encore surévalués - essentiellement liée à la crise de la zone euro, nos autorités monétaires peuvent facilement justifier leurs actions même si les apparences sont contre elles. Raison de plus alors pour peaufiner leurs plaidoiries et améliorer leur com. Or, sur ce plan, la BNS inquiète: sa réponse à S&P fut fort imprécise, et lui fallait-il tenir cette semaine une conférence de presse pour vanter un livre à la gloire d’un franc suisse qui n’a certainement pas besoin d’un tel rappel? Par chance, ni Londres, ni New York ne lisent plus l’allemand.




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