Jacques Sapir : pourquoi la France ne doit pas copier l'Allemagne (1)
L’euro fait débat. Et c’est tant mieux. La crise de la dette, de la Grèce au Portugal en passant par l’Irlande, a remis sur la table l’existence de la monnaie unique dans sa forme actuelle comme dans son pilotage, deux questions que l’on croyait tranchées. Preuve de cette nouvelle disposition, des économistes tel Daniel Cohen acceptent désormais de se confronter dans les colonnes des Echos, avec leurs homologues plus critiques sur l’euro, comme Alain Cotta. Pour le premier, l’euro a servi de parapluie : « un an après, on pouvait se dire que la crise avait été parfaitement gérée. » Le second est plus dubitatif : « Personne ne dit comment la crise aurait été absorbée sans l’euro (…) Vous pouvez prétendre que la situation aurait été encore plus mauvaise sans l’euro, mais personnellement, je ne reçois pas cet argument. » En complément de cette vidéo des Echos qui donne à voir un échange de haut niveau, où l’on pourra entendre les arguments des deux camps, Marianne publie un texte de Jacques Sapir.
Le professeur de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, considèrent que ajoutées aux erreurs originelles qui ont prévalues lors de la création de l’euros, les effets des politiques d’ajustement, telle que décidées le 4 février dernier, sous le terme de « pacte de compétitivité » sont en passe de déclencher une terrible récession.
Parfaitement calibrées pour l’Allemagne ces décisions emporteront la plupart des économies, et notamment celle de la France. Pour Jacques Sapir, il s’agit donc de penser une politique alternative. S'inspirant des judoka, cette situation est susceptible de donner à la France l'opportunité de s'imposer à l'Allemagne. Écartant d’emblée le statut quo, qui verrait l’euro demeurer en l’état, il aborde tour à tour les deux options. La dissolution pure et simple, n’emporte pas sa préférence, qui va d’avantage à une modification profonde du pilotage de la monnaie unique, et avant tout à sa dévaluation vis-à-vis des autres monnaies. Nous publions son long texte en 5 parties, voici la première.
La crise de la zone Euro connaît une trêve, qui devrait durer jusqu’en mars 2011. Cependant,
non seulement aucun des problèmes fondamentaux n’est résolu, mais les solutions partielles
proposées, et présentées comme une avancée historique vers une Europe fédérale, posent bien
plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.
L’Euro s’avère un véritable problème pour la croissance des pays qui la composent. Ceci
devient de plus en plus évident avec les différents plans d’ajustement budgétaire mis en place
à travers la zone. De fait, les propositions franco-allemandes du sommet européen du 4 février
vont toutes dans le même sens : pénaliser la consommation, durcir le cadre social et enlever
aux États un peu plus de souveraineté. Il n’est donc pas étonnant que de nombreux
gouvernements aient violemment protesté.
Le sommet européen de mars 2011 devrait connaître une nouvelle étape dans cet affrontement
et voir soit l’accord vidé de sa substance soit une profonde rupture entre les pays de la zone
et voir soit l’accord vidé de sa substance soit une profonde rupture entre les pays de la zone
Euro. Soyons en sûrs, la spéculation reprendra à la fin du printemps. Les effets cumulatifs des
politiques d’ajustement budgétaire se feront sentir au second semestre 2011 et nous entamerons l’année 2012 dans une crise renouvelée de la zone Euro, mais où cette fois toutes les munitions auront été tirées et où la crédibilité des gouvernements sera largement érodée.
L’Euro concentre donc sur lui la totalité des contradictions qui sont nées de la politique néolibérale
menée depuis le début des années 1980. Non qu’il en soit la cause unique. De nombreuses autres institutions, tant par leur absence (l’absence de toute harmonisation sociale et fiscale, d’un contrôle des capitaux, des mesures de protectionnismes altruistes ciblées) que par leur présence (les directives européennes dans certains secteurs, les politiques budgétaires et fiscales, menées par les différents États) contribuent à la situation actuelle. Nous le répétons : le néo-libéralisme est une totalité qui fait système.
menée depuis le début des années 1980. Non qu’il en soit la cause unique. De nombreuses autres institutions, tant par leur absence (l’absence de toute harmonisation sociale et fiscale, d’un contrôle des capitaux, des mesures de protectionnismes altruistes ciblées) que par leur présence (les directives européennes dans certains secteurs, les politiques budgétaires et fiscales, menées par les différents États) contribuent à la situation actuelle. Nous le répétons : le néo-libéralisme est une totalité qui fait système.
Mais, aujourd’hui, ces contradictions s’incarnent et se concentrent sur l’Euro, tant d’un point
de vue interne qu’externe. L’Euro, comme toute monnaie, est une « dette » d’un État (virtuel),
de vue interne qu’externe. L’Euro, comme toute monnaie, est une « dette » d’un État (virtuel),
émise comme contrepartie sociale des engagements de cet État vis-à-vis de sa population et
devant servir au paiement de l’impôt (1). Fondamentalement, l’Euro ne peut exister de manière
stable tant qu’il n’est pas adossé à un État européen collectant des impôts et garantissant le
transfert des dettes privées en dettes publiques. Or, cet État n’est pas de nature du possible, ni
aujourd’hui ni dans un avenir qui nous soit maîtrisable. L’hypothèse fédérale est rejetée par
les peuples qui forment des communautés politiques trop différenciées tant par l’histoire que
par leur culture et leurs institutions (2) pour pouvoir se fusionner en une communauté politique
unique.
Aujourd’hui, nous voyons bien que son maintien – sous sa forme actuelle – ne peut que
plonger les pays de zone Euro dans une récession qui durera de nombreuses années. C’est
plonger les pays de zone Euro dans une récession qui durera de nombreuses années. C’est
pourquoi il importe de faire sauter ce carcan et de rendre ainsi possible la mise en place
d’autres nécessaires mesures. C’est un commencement et certainement pas une fin, comme le
prétendent certains. Mais, c’est un commencement indispensable et il est illusoire de croire
que ces autres mesures puissent être mises en action avec un Euro dans sa forme actuelle.
C’est pourquoi la question de l’Euro, d’une possible sortie de la zone comme de sa possible
évolution et transformation, est appelée à dominer le débat politique en France, mais aussi de
plus en plus en Europe, pour les mois à venir.
La question de l’Euro, pour un pays comme la France est en réalité double. D’une part, l’Euro
nous impose des contraintes sur notre commerce extérieur « hors zone » tant pour des raisons
de taux de change que du fait d’un manque de réglementation. D’autre part, l’Euro exerce sur
nous des contraintes fortes dans le cadre de la zone Euro en nous empêchant de dévaluer. Ces
deux types de problèmes sont très souvent mélangés. On va tenter ici de les séparer pour en
étudier les effets. Par ailleurs, l’idée d’aligner la politique économique de la France sur celle
de l’Allemagne apparaît comme une profonde erreur.
En raison de sa démographie, la France
a besoin de bien plus de création d’emplois que l’Allemagne. Cette dernière, quoique plus
peuplée que notre pays, a aujourd’hui un tiers de moins de jeunes dans son système éducatif
du fait de la chute catastrophique de sa natalité. Or, promouvoir une véritable politique
industrielle en France, et faire reculer le spectre de la désindustrialisation, imposera à notre
pays un taux structurel d’inflation très différent de celui de l’Allemagne. La solution fédérale
impliquerait que l’Allemagne accepte de subventionner la France par des transferts
budgétaires importants et qu’elle procède à une politique de relance. C’est à l’évidence
impossible et il faut savoir qu’aucune force de l’échiquier politique allemand ne préconise une
telle politique.
Il nous faut dès lors concevoir une politique originale pour la France, en dehors de toute
tentative d’imiter un pays dont les structures apparaissent à la fois différentes des nôtres et
tentative d’imiter un pays dont les structures apparaissent à la fois différentes des nôtres et
condamnées dans le long terme.
(1) Lire L. Randall Wray, « Money », Working paper n° 647, The Levy Economics Institute of Bard College,
Annandale on Hudson, NY, 2010. C.A.E. Goodhart, « Money and Default » in M. Forstater et L. Randall Wray (edits), Keynes for the Twenty-First Century, New York, Palgrave-Macmillan, 2008.
(2) Et il faut rappeler ici la continuité des arrêts de la cour constitutionnelle allemande sur ce point.
La suite de cet article les 16, 16, 17 et 18 février.
Lundi 14 Février 2011
Jacques Sapir - Economiste
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