héliotrope: Lorsqu’une personne, au lieu de trouver du plaisir dans la relation à l’autre, va le trouver dans la répétition d’un comportement perceptif comme la prise de toxiques, les jeux d’argent, mais aussi l’automutilation, l’alimentation…

dimanche 5 septembre 2010

Lorsqu’une personne, au lieu de trouver du plaisir dans la relation à l’autre, va le trouver dans la répétition d’un comportement perceptif comme la prise de toxiques, les jeux d’argent, mais aussi l’automutilation, l’alimentation…

CHECK-UP Samedi4 septembre 2010

Les ados et Internet, une histoire de cerveau

PAR PAR MARIE-CHRISTINE

Les jeunes, et les ados en particulier, sont-ils toujours plus dépendants aux jeux et à Internet? Analyse de Philippe Stephan, médecin adjoint au Service de psychiatrie de l’enfant et l’adolescent à Lausanne

Une étude lausannoise récente* a montré que près de la moitié des jeunes entre 15 et 24 ans joue à des jeux d’argent: un sur trois occasionnellement, un sur dix fréquemment. Une pratique souvent associée à des comportements à risque comme le tabagisme, la consommation de cannabis et la cuite express. Pour les auteurs, il faut donc considérer le jeu en soi comme un comportement à risque. Or les jeunes, et les ados en particulier, passent un temps fou à jouer sur Internet. Faut-il en déduire qu’ils sont tous toujours plus dépendants? Analyse de Philippe Stephan, médecin adjoint au Service de psychiatrie de l’enfant et l’adolescent à Lausanne.

Le Temps: Y a-t-il une augmentation
des dépendances au jeu chez les jeunes?

Philippe Stephan: Je ne pense pas qu’il y ait une épidémie d’addiction aux jeux vidéo ou d’argent chez les jeunes. Mais il y a une augmentation des jeunes qui s’intéressent à Internet. C’est plutôt bien car c’est leur avenir. Seulement, c’est un instrument qui fait peur aux adultes, d’autant plus que les jeunes l’investissent avec la passion propre à leur âge et le désir d’arriver à le maîtriser. Internet répond bien aux modifications du cerveau des adolescents.

– En quoi leur cerveau est-il différent
de celui des adultes?

– Il y a une puberté cérébrale pendant laquelle des modifications neuronales surviennent. Un peu comme les dents de lait, certaines connexions disparaissent pour laisser la place à d’autres. De plus, certaines zones sont matures plus rapidement que d’autres. En particulier celles qui correspondent aux perceptions (les aires visuelles, auditives, etc.). L’adolescent se retrouve tout à coup avec un nouvel outil, il va devoir le tester encore et encore. Internet, tout comme le cannabis ou l’alcool, est «intéressant» pour cela. Par contre, les zones préfrontales, correspondant à la gestion, se développent plus tard. Ce qui explique que les ados peinent à maîtriser leurs impulsions, à contrôler leurs émotions, à trier le flot d’informations et à se déconnecter des choses.

– Passer des heures à jouer sur un écran, n’est-ce pas un signe de dépendance?

– Non, la propension à devenir dépendant est de l’ordre de la personnalité sous-jacente. Il n’y a pas eu dans l’humanité la mutation d’un gène qui fasse que, tout à coup, les jeunes deviennent toxicomanes aux jeux! Par contre, notre monde, en valorisant l’individu, met une forte pression sur lui. Ce qui peut amener les ados les plus fragiles à avoir peur de l’inconnu, des choix à faire et à se «réfugier» dans l’échec scolaire. Une plongée dans les jeux vidéo peut les rassurer. Cela ne veut pas dire qu’ils sont dépendants, il s’agit plutôt de revalorisation.

– Quand peut-on parler d’addiction?

– Lorsqu’une personne, au lieu de trouver du plaisir dans la relation à l’autre, va le trouver dans la répétition d’un comportement perceptif comme la prise de toxiques, les jeux d’argent, mais aussi l’automutilation, l’alimentation…

– Alors, il faut laisser faire?

– Les parents doivent accompagner, s’intéresser, donner des limites, mais en connaissance de cause. On ne sort pas d’un jeu en une seconde, il faut compter parfois un quart d’heure à vingt minutes, car le jeune, s’il est seul devant son poste, est en fait en relation avec d’autres et doit prendre le temps de les quitter. Il faut relativiser et arrêter de dire que les jeunes sont dépendants, drogués. Les humains sont restés les mêmes.

La question de la gestion de l’intimité sur le Net reste un point délicat. Il va falloir apprivoiser ça. Je pense que cette génération rencontrera des problèmes mais qu’elle va trouver des solutions pour ses propres enfants. Nous ne pouvons pas les aider car il s’agit de leur intimité.

* «Swiss Medical Weekly», www.smw.ch/index.php?id=smw-2010-13074